L’Economie du Cambodge

Depuis le début des années 90, le Cambodge a réalisé de gros progrès, mais l’effort de réforme doit être soutenu et renforcé dans les domaines essentiels pour promouvoir la croissance soutenue et le développement durable. Apr1es plus de trois décennies de guerres, la paix est retrouvée et renforcée. La confiance s’est accrue, et les résultats économiques se sont améliorés durant les dix dernières années, avec une croissance annuelle de 6,5% en moyenne, grâce à une politique budgétaire prudente, une gestion monétaire saine et des réformes structurelles appropriées.

Cependant, le Cambodge, avec le PIB par habitant de 300 dollars, demeure un des pays les moins avancés. Il reste beaucoup à faire pour assurer une croissance économique forte et durable, durant les années à venir, dans un climat mondial et régional de plus en plus difficile. Les succès des dernières années n’ont pas suffit à masquer les déséquilibres foudroyants qui les ont accompagnés : la stagnation du secteur agricole, l’inégalité croissante entre les zones urbaines et les zones rurales, les problèmes sociaux liés aux paysans sans terres et la jeune population en quête du travail.

Il est donc essentiel que toutes les parties prenantes du Cambodge poursuivent leur effort de réforme dans les volets structurels essentiels pour répondre aux besoins de développement:

D’abord, la stabilité politique, le respect de l’ordre public et les garanties d’application des lois, et d’administration doivent être renforcés. Dans le domaine de la démocratie et de la promotion des droits humains, le Cambodge a renforcé son propre système de valeurs politiques. Les différentes élections sont régulièrement organisées dans la transparence et l’équité. Les libertés individuelles et collectives sont garanties. Les partis politiques, les syndicats ainsi que la presse fonctionnent librement dans la jeune démocratie. En outre, le Cambodge a marqué son adhésion au dispositif de protection internationale des droits de l’homme, en signant et ratifiant la plupart des accords en la matière. L’éducation aux droits et devoirs du citoyen constitue un volet important de l’action gouvernementale. Cependant, les risques de dérapage dans le maintien de l’ordre politique et social subsisteront dans les années à venir, en raison de la fragilité du tissu politique, social et éthique du Cambodge, due au fait que la culture de coopération et de l’entente politique sont encore naissantes, et par suite des déficiences de la capacité institutionnelles. La société cambodgienne est cassée en deux: les riches et les pauvres. Le Cambodge doit maintenir la stabilité macroéconomique et la croissance économique pour faire reculer sensiblement et durablement la pauvreté et les fruits du développement doivent être partagés d’une manière équitable.

En deuxième lieu, de grands progrès ont été enregistrés ces dernières années et sont à porter incontestablement au crédit du gouvernement : la grande liberté dont jouit la presse, fut-elle étrangère, la liberté totale des cultes, la latitude a bien des égards exceptionnelle laissée aux très nombreuses organisations non gouvernementales, nationales ou étrangères, intervenant dans les domaines les plus variés. Beaucoup reste cependant à faire en matière de lutte contre les trafics d’êtres humains, notamment des femmes et des enfants. De même, il convient de mentionner le problème des paysans sans terre.

En troisième lieu, la période 1993-2003 a vu la consolidation des institutions et l’amélioration des politiques économiques et financières. Néanmoins, beaucoup plus d’efforts doivent être déployés pour que les institutions mises en place fonctionnent régulièrement et que les actions concrètes suivent les stratégies et les politiques engagées. Les réformes menées ces dernières années et à poursuivre durant les années à venir doivent renforcer l’efficacité des institutions politiques et économiques de l’État. Face à une compétition virulente dans la région, il est également nécessaire de promouvoir l’éducation et la formation technique et professionnelle, améliorer l’accès aux soins de santé de qualité, former une main d’œuvre qualifiée, veiller à vulgariser les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour en faire des outils au service du progrès. Le Gouvernement royal s’attachera à mettre en œuvre les stratégies et les programmes dans ces domaines.

En quatrième lieu, qu’il s’agisse de la protection et de la mise en valeur des ressources naturelles qui doivent apporter une contribution au développement du pays. L’accès équitable aux ressources doit être assuré pour garantir la cohésion sociale et la prospérité partagée. En fait, il est nécessaire de prendre des actions qui concrétisent la volonté de construire un développement durable à travers la protection de l’environnement et les champs de la coopération technique et financière, culturelle et universitaire, politique et institutionnelle, technologique. Un mécanisme transparent doit être mis en place pour mettre en œuvre un sous décret sur la concession sociale pour renverser la tendance des paysans sans terre.

En cinquième lieu, également de caractère d’accumulation du capital, c’est l’accent qu’on met sur l’épargne intérieure et ressources financières intérieures comme instrument indispensable pour promouvoir l’investissement bien orienté et productif. En même temps, parmi les facteurs immédiats du développement économique, l’offre d’entrepreneurs, d’administrateurs capables et des connaissances techniques occupe une place de premier rang, au moins égale à celle du capital. On a souligné l’importance du capital humain et des investissements consacrés aux hommes en tant qu’agents productifs et l’introduction de techniques perfectionnées. Le Cambodge a vu émergé une classe moyenne soucieuse de renforcer sa capacité de relever le défi du développement. Néanmoins, la classe capitaliste du Cambodge doit rattraper celle de la région en ce qui concerne la capacité institutionnelle et technique.

En sixième lieu, la mondialisation et les relations économiques extérieures doivent soutenir le développement par le biais de: (i) l’aide publique au développement; (ii) investissement étranger direct; et (iii) commerce extérieur. Faudrait-il rappeler, de surcroît, les activités et les résultats des réunions du Groupe Consultatif pour le Cambodge, ou des Missions du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement, des autres bailleurs de fonds bilatéraux ou de l’intégration en sein de l’ASEAN, de l’ASEAN plus trois et l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce sont autant de mécanismes où le Cambodge prépare les travaux, conduit les débats ou les négociations et conclut les accords pour promouvoir le décollage économique.

Enfin, tous ces rapports et ces analyses, l’infrastructure économique et sociale comme les services publics qui englobent l’enseignement, la santé, les transports, les communications, l’adduction d’eau et d’énergie, les systèmes d’irrigation et de drainage, la qualité des institutions et la bonne gouvernance jouent un rôle prépondérant pour attirer les investissements privés en vue d’assurer le développement durable.

Le présent ouvrage essaye de faire la synthèse de la lutte menée par le Cambodge pour promouvoir le développement durable et la prospérité équitablement partagée, ainsi que des stratégies et politiques de réformes dans les secteurs essentiels qui les ont sous-tendus, et des résultats qui en ont découlé. Il met naturellement l’accent sur les réalisations du Cambodge ces 10 dernières années et aussi sur les problèmes à résoudre dans les années à venir.

L’ouvrage a été construit sur les axes majeurs du développement : (i) l’aperçu général sur les conditions géographiques et climatiques du Cambodge ; (ii) la population du Cambodge ; (iii) le cadre macroéconomique ; (iv) l’agriculture et le développement rural ; (v) l’industrie et le développement du secteur privé; (vi) les services ; (vii) l’infrastructure et (viii) la valorisation des ressources humaines.

En définitive, au delà de la satisfaction personnelle d’avoir engagé dans le processus de développement, je reste convaincu que c’est les cambodgiens qui doivent être le moteur de l’action sur le terrain pour promouvoir le développement au Cambodge. Donc il faut tout faire pour renforcer la capacité des cambodgiennes et cambodgiens à mieux faire face aux défis du développement.

HANG CHUON NARON

Phnom Penh, janvier 2005

2. Essais économiques


Préface

Les essais économiques du Dr. Hang Chuon Naron vont beaucoup plus loin que leur appellation ne le laisse suppose. En dépit de la naturelle modestie de leur auteur, il s’agit de travaux solides qui constituent une référence incontournable pour tous ceux qui veulent mesurer et comprendre la surprenante performance économique du Cambodge, apprécier son degré de durabilité et dresser un tableau raisonné des risques et opportunités qui vont déterminer l’avenir du pays.

Economiste qu’une longue pratique des chiffres dans un paysage statistique encore perfectible a rendu prudent, le Dr Naron brasse avec dextérité toutes les données disponibles pour donner de son pays, qui n’est simple qu’en apparence, une image aussi fidèle que possible. Soucieux de pédagogie et de formation, dans un pays où l’activité économique tend depuis quelques années à croître plus vite que les capacités institutionnelles et humaines susceptibles d’en maîtriser et orienter le cours, le Dr. Naron présente ses analyses avec précision et clarté selon des schémas logiques qui empruntent aux meilleures écoles de culture anglo-saxonne et française. Il nous fait d’ailleurs l’honneur de publier ce recueil en français, témoignant ainsi de son propre attachement mais aussi de celui du Gouvernement Royal du Cambodge en général et du Ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances en particulier à cette langue.

Attaché au concret, désireux de ne pas déconnecter la macro de la micro économie, en dépit de ses hautes et larges responsabilités au MEF et au SNEC, le Dr. Naron ne cesse de rester ancré dans l’économie réelle et de montrer à ses lecteurs que la croissance résulte d’une alchimie réussie entre réglage monétaire, discipline budgétaire et fiscale et durabilité des dynamiques sectorielles. Sous cet angle, il n’hésite jamais à se plonger dans le détail des forces et faiblesses des principaux moteurs de l’économie cambodgienne : tourisme, confection, construction. Il restitue aussi à l’agriculture – qui représente avec presque 1/3 du PIB et plus des 2/3 de la population active un enjeu économique majeur et un défi social crucial – l’importance qui est la sienne mais qu’occulte parfois la fascination, par ailleurs assez légitime, qu’exercent sur nombre d’observateurs les politiques néolibérales d’ouverture radicale aux échanges et leur impact sur les autres piliers de la croissance.

Enfin et peut-être surtout, l’analyste engagé qu’est le Dr. Naron n’oublie pas les responsabilités dont il est porteur : ses observations s’inscrivent dans le monde réel ; et ses préconisations appartiennent au monde du possible. Il sait qu’il convient, dans ce pays en transition économique récemment rendu à la paix civile, où les effets de plusieurs décennies de déchirement et les stigmates de la pauvreté extrême qui prévalait il y a une douzaine d’années n’ont pas été tous résorbés, d’agir avec modération, pas à pas mais globalement, à tous les niveaux possibles.

Le lecteur trouvera donc dans ces essais ample matière à réflexion sur les facteurs matériels et institutionnels essentiels de compétitivité qui détermineront la poursuite de la croissance ainsi que sur le juste chemin dont l’économie et la société cambodgienne ont besoin.

Jean-Daniel Gardère

Conseiller Economique et Financier

Chef des missions économiques françaises au Cambodge et au Laos

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